La Russophonie, espace de cultures anciennes et de nouvelles solidarités.

La russophonie aujourd’hui est l’espace linguistique et culturel commun à de nombreux peuples, indépendamment de leurs appartenances ethniques, nationales, religieuses, politiques, voire même stratégiques. C’est un patrimoine commun qui rassemble de fait des populations parfois poussées à l’affrontement dans le chaos post-soviétique. Cette vocation unificatrice et pacifique est déjà une justification suffisante pour élargir à tout le monde russophone un prix littéraire récompensant la meilleure traduction de russe en français. Quinze ans après l’éclatement de l’URSS et les vagues d’émigration de populations russophones qu’a connues le siècle dernier dans le monde entier, la notion de russophonie répond à la réalité géopolitique contemporaine. Le russe n’est plus la langue appartenant à la seule Russie. Il est devenu l’outil de communication commun privilégié, souvent indispensable et unique dans beaucoup de pays de l’ex-URSS, voire de l’est de l’Europe, ou entre personnes y ayant vécu. Il est quelquefois le seul moyen d’accès à des écrits scientifiques ou technologiques de haut niveau. Il est un lien avec le reste de la communauté internationale. Ce caractère mondial justifie l’intérêt que l’on peut porter au russe également en France, à une échelle dépassant quelques spécialistes. Compte tenu de nos tendances à rationaliser et classer les choses, c’est paradoxalement en France, pays faiblement russophone, qu’est née l’initiative de nommer la russophonie et de concrétiser notre volonté de ne pas rester en dehors de ce nouvel espace à vocation universelle.

L’exemple de la francophonie

Bien sûr, l’exemple de la francophonie n’est pas étranger à l’initiative. Les Français ont bien compris que le rayonnement de leur pays a pu se maintenir dans le monde, pour une bonne part, grâce à la francophonie. Les Français disséminés ici ou là dans le monde n’auraient pas pu assurer la pérennité d’un tel espace culturel et linguistique, souvent source de solidarités dans des domaines politiques, stratégiques, commerciaux. Ils se sont donc résolus à partager leur langue et à participer au développement du patrimoine commun.

Car la francophonie n’est pas née en France ! Elle a mis du temps à y être comprise et acceptée : près de deux cents ans, disent les Québécois ou, les Cajuns…

Il a fallu les indépendances africaines et des initiatives comme celles du poète-Président sénégalais Léopold Sédar Senghor, soucieux de préserver le seul élément unificateur entre les nouveaux états indépendants, souvent artificiellement créés par la colonisation. Pour eux, la francophonie était une nécessité, un atout supplémentaire.

Cela semblait moins évident pour la France car la France est naturellement francophone. Tout comme la Russie d’aujourd’hui est naturellement russophone et pense plus en terme de « compatriotes à l’étranger » qu’en termes de partage de son héritage linguistique et culturel.

Prix Russophonie

Pourtant, en Asie centrale, dans le Caucase, voire même dans les pays baltes, nombreux sont ceux dont la culture personnelle est intimement liée à la langue russe à laquelle ils restent attachés sans pour autant renier leur propre langue, culture ou nationalité. Sans compter que pour eux, le russe est souvent le meilleur ou le seul moyen de communiquer entre eux, d’accéder à la littérature mondiale scientifique ou spécialisée, de profiter d’un Internet plus vaste et plus riche…

On retrouve la même aspiration parmi les russophones souvent nombreux en Israël, en Allemagne, en Australie, en Amérique ou en France. Hâtivement perçus comme « Russes », les Ukrainiens, Géorgiens, Biélorusses, Moldaves ou Lituaniens vivant dans ces parties du monde créent souvent une solidarité russophone de fait, sans perdre pour autant leur identité nationale. Ils ne peuvent plus être considérés simplement comme des compatriotes par les Russes ou comme des « Russes » par les autres. Sur le terrain, dans la presse et sur Internet, la réalité s’est créée. Il lui restait à être nommée et définie. C’est chose faite en France. Puisse le prix littéraire « Rusofonia » – Russophonie en être une première illustration appelée à durer et à s’élargir comme l’espace russophone lui-même, garant, comme les espaces francophones, lusophones, hispanophones, germanophones ou arabophones, de la biodiversité linguistique et culturelle dans un monde que l’on peut souhaiter véritablement multipolaire.

 

Dimitri de Kochko

 

“Rusofonia” © Nicolas de Kochko

 

Et pourtant ils communiquent en russe…

 

En novembre dernier, le Président géorgien Mikhaïl Saakachvili a demandé à son homologue ukrainien, Viktor Iouchenko d’être le parrain de son enfant.

Les deux mènent actuellement la même politique hostile à la Russie afin, notamment, de se faire admettre à l’OTAN. Mais ils ont un autre point commun : s’ils veulent parler sans interprète ils le font en russe ! Il en est de même entre un Ouzbek et un Letton, un Israélien et un Bulgare, sans même parler de l’ancien étudiant congolais en URSS qui souhaite communiquer avec un Australien descendant de cosaques ou le scientifique biélorusse d’Oklahoma City « chattant » sur Internet avec un Allemand de la Volga revenu à Nuremberg…