Pour Historiens et Géographes

 

 « Russophonie » et  « Russophones »

 

Le terme « russophone » connaît une certaine notoriété ces derniers temps. A commencer par les déclarations du président Nicolas Sarkozy lors de son voyage à Moscou et à Tbilissi en août dernier en pleine crise d’Ossétie mais aussi dans de nombreux articles et infographies de nombreux journaux y compris des grands quotidiens tels le Monde, le Figaro ou Libération…

Dans tous ces cas, le mot est employé d’une manière fautive qui induit une erreur non seulement sémantique mais aussi d’analyse géopolitique. Il s’agit d’une confusion, qu’on aimerait ne pas croire volontaire, entre le mot russophone et le mot russe. C’est une erreur bien étonnante, soit dit en passant, de la part de Français qui savent se distinguer des autres francophones !

Quand Nicolas Sarkozy reconnaît un droit à la Russie de prendre la défense de « russophones» en Géorgie et sous-entendu ailleurs, comme l’ont souligné quelques commentateurs français, généralement pour s’en indigner alors qu’ils admettent la chose pour d’autres pays, il parle évidemment des Ossètes. Ces derniers ont demandé et reçu après plusieurs années d’hésitations de la part de Moscou, la citoyenneté russe pour pouvoir voyager, puisqu’ils n’avaient plus de passeports géorgiens depuis les affrontements de 1992. A cette époque, après l’éclatement de l’URSS, des nationalistes géorgiens ont nié l’existence d’un statut d’autonomie des Ossètes et se sont livré (déjà !) à des massacres contre leurs concitoyens Ossètes du sud. Comme des affrontements sanglants s’étaient aussi produits en 1918-1920, cela explique au moins en bonne partie pourquoi les Ossètes se sont proclamés « république séparatiste ».

Mais les gens de nationalité ossète sont aussi russophones que … les Géorgiens. Or les Russes n’intervenaient pas en août 2008 pour défendre les Géorgiens, sauf erreur, si ce n’est peut-être contre leur propre président.

Pourtant, dans des articles et certaines cartes infographiques, notamment celle du Monde daté du dimanche 31 août- lundi 1er septembre 2008, on lit avec un certain étonnement que l’Ukraine ne compterait que17,3% de russophones ! Il s’agit évidemment de Russes. L’Ukraine compte facilement 85 à 90% de russophones et en tout cas 100% en Crimée, dont 58% de Russes, contrairement à ce que relevait le Figaro quelques jours plus tôt.

C’est la même chose pour la Moldavie, où le Monde ne voit que 5,8% de russophones alors que dans ce pays 95% des gens parlent russe, dont 60% à concurrence avec le roumain). Pour l’Arménie, les 0,5% de russophones affichés par le Monde sont franchement comiques, sans parler de la Biélorussie où 11,4% de russophones, selon la carte, ont de quoi étonner une population intégralement et souvent uniquement russophone…

 

Compliquons encore un peu les choses car elles le sont : il y a russophone et russophones : le russophone hors de la Fédération de Russie parle le russe ET sa langue ou ses langues. C’est le cas des Ossètes, descendants des Alains, qui parlent souvent russe, ossète et géorgien, tout comme les Géorgiens justement parlent le géorgien et le russe, de même que les Arméniens, les Azéris, les Baltes parlent leurs langues respectives et le russe… En revanche, les nouvelles minorités ethnico-linguistiques, devenues telles après la chute de l’empire soviétique, que quelques journaux ou commentateurs distinguent à tort comme « russophones » uniquement, sont le plus souvent des Russes ou des gens d’autres nationalités de l’URSS (Ukrainiens, Biélorusses, Moldaves, Juifs, Tatars…) transplantés au sein de l’ex-empire, notamment dans les pays baltes, et qui ne parlent QUE le russe ou en russe essentiellement.

Que le Balte, le Moldave ou l’Ukrainien par exemple soient « de souche » ou transplanté par l’Histoire, un dénominateur commun les unit, c’est la connaissance en commun d’une langue et d’une culture. On pourrait résoudre l’ambigüité en russe, en utilisant deux mots différents : «le parlant russe» (ruskojazychnyj) pour désigner les minoritaires essentiellement russes, dont les droits ne sont pas toujours garantis dans certains pays, et « rusofone », pour parler des autres qui disposent du russe en plus. Pour le moment, le mot est compris mais non attesté dans les dictionnaires.

On voit bien dans ces conditions que la russophonie est un patrimoine commun (à l’instar de la francophonie), un élément d’enrichissement et enfin un facteur de réconciliation et de rapprochement entre les peuples si l’on veut bien jouer les similitudes et non les différences. Elle ne devrait en aucun cas être source de confrontation. A condition, bien sûr, de ne pas chercher à y pousser des peuples déjà peu épargnés par l’Histoire au siècle dernier.

 

Dimitri de Kochko (Septembre 2008)

 

 

 

Mise au point sur la « Russophonie » et les « Russophones » (envoyée au Monde le 1er sept)

 

Le terme « russophone » connaît une certaine notoriété ces derniers temps. A commencer par les déclarations du président Nicolas Sarkozy lors de son voyage à Moscou et à Tbilissi (relevées fort à propos dans votre éditorial du Monde du week-end) mais aussi dans vos articles et surtout votre carte de la page 15. Dans tous les cas, le mot est employé d’une manière fautive qui induit une erreur non seulement sémantique mais aussi d’analyse géopolitique. Il s’agit d’une confusion entre le mot russophone et le mot russe. C’est une erreur bien étonnante soit dit en passant de la part de Français qui savent se distinguer des autres francophones !

Quand Nicolas Sarkozy reconnaît un droit à la Russie de prendre la défense de « russophones » en Géorgie et sous-entendu ailleurs comme vous le soulignez, il parle évidemment des Ossètes qui ont reçu la citoyenneté russe pour pouvoir voyager. Car les gens de nationalité ossète sont aussi russophones que … les Géorgiens. Les Russes n’intervenaient pas là pour défendre les Géorgiens sauf erreur, ou peut-être contre leur propre président.

De même, dans votre carte de ce week-end, on lit avec un certain étonnement que l’Ukraine compterait 17,3% de russophones alors que là aussi il s’agit de Russes et que l’Ukraine compte facilement 85 à 90% de russophones et en tout cas 100% en Crimée dont 58% de Russes, contrairement à ce que relevait le Figaro il y a quelques jours.

C’est la même chose pour la Moldavie (vous ne voyez que 5,8% de russophones dans un pays où 95% des gens parlent russe dont 60% à concurrence avec le roumain) ou l’Arménie où vos 0,5% sont franchement comiques sans parler de la Biélorussie où 11,4% de russophones ont de quoi étonner une population intégralement et souvent uniquement russophone…

La différence est là : le russophone parle le russe ET sa langue ou ses langues (c’est le cas des Ossètes Alains du sud qui parlent souvent russe, ossète et géorgien) alors que ceux que vous appelez à tort russophones et sont le plus souvent des Russes ou des gens d’autres nationalités de l’ex URSS (Ukrainiens, Bielorusses, Moldaves, Juifs, Tatars…) transplantés au sein de l’ex-empire ne parlent QUE le russe ou en russe essentiellement.

En russe, l’ambiguïté se résout facilement car il existe deux mots différents : « le parlant russe » (ruskojazychnyj) et le russophone.

On voit bien dans ces conditions que la russophonie est un patrimoine commun (à l’instar de la francophonie), un élément d’enrichissement et enfin un facteur de réconciliation et de rapprochement et non de confrontation. Par les temps qui courent, cela nous parait important et en France c’est dans ce sens de la réconciliation en Europe, grâce à la russophonie et la francophonie, que nous oeuvrons.

URF   le 30 août 2008

 

Adressé au Monde et en copie à d’autres.

On peut faire circuler

A mettre sur le site de l’URF et du Prix russophonie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour Historiens et Géographes

 

 « Russophonie » et  « Russophones »

 

Le terme « russophone » connaît une certaine notoriété ces derniers temps. A commencer par les déclarations du président Nicolas Sarkozy lors de son voyage à Moscou et à Tbilissi en août dernier en pleine crise d’Ossétie mais aussi dans de nombreux articles et infographies de nombreux journaux y compris des grands quotidiens considérés comme sérieux comme le Monde, le Figaro ou Libération…

Dans tous ces cas, le mot est employé d’une manière fautive qui induit une erreur non seulement sémantique mais aussi d’analyse géopolitique. Il s’agit d’une confusion (volontaire ???) entre le mot russophone et le mot russe. C’est une erreur bien étonnante, soit dit en passant, de la part de Français qui savent se distinguer des autres francophones !

Quand Nicolas Sarkozy reconnaît un droit à la Russie de prendre la défense de « russophones» en Géorgie et sous-entendu ailleurs, comme l’ont souligné quelques commentateurs français généralement pour s’en indigner alors qu’ils admettent tout à fait la chose pour d’autres pays, il parle évidemment des Ossètes. Ces derniers ont reçu la citoyenneté russe pour pouvoir voyager, puisqu’ils n’avaient plus de passeports géorgiens depuis les affrontements de 1992 qui avaient déjà vu les nationalistes géorgiens se livrer à des massacres contre les Ossètes du sud, ce qui explique la « république séparatiste ».

Mais les gens de nationalité ossète sont aussi russophones que … les Géorgiens. Or les Russes n’intervenaient pas en août 2008 pour défendre les Géorgiens, sauf erreur, si ce n’est peut-être contre leur propre président.

De même, dans certaines cartes géographiques, notamment celle du Monde daté du dimanche 31 août-lundi 1er septembre 2008, on lit avec un certain étonnement que l’Ukraine ne compterait que17,3% de russophones, alors que là aussi il s’agit de Russes. L’Ukraine compte facilement 85 à 90% de russophones et en tout cas 100% en Crimée, dont 58% de Russes, contrairement à ce que relevait le Figaro quelques jours plus tôt.

C’est la même chose pour la Moldavie (le Monde n’y voit 5,8% de russophones dans un pays où 95% des gens parlent russe, dont 60% à concurrence avec le roumain) ou l’Arménie où les 0,5% affichés par le Monde sont franchement comiques, sans parler de la Biélorussie où 11,4% de russophones, selon la carte, ont de quoi étonner une population intégralement et souvent uniquement russophone…

 

Une des différences est là : le russophone parle le russe ET sa langue ou ses langues (c’est le cas des Ossètes, Alains du sud-ouest, qui parlent souvent russe, ossète et géorgien) alors que ceux que quelques journaux ou commentateurs appellent à tort russophones sont le plus souvent des Russes ou des gens d’autres nationalités de l’ex-URSS (Ukrainiens, Biélorusses, Moldaves, Juifs, Tatars…) transplantés au sein de l’ex-empire, notamment dans les pays baltes, et qui ne parlent QUE le russe ou en russe essentiellement.

En russe, l’ambiguïté peut se résoudre car il existe deux mots différents : «le parlant russe» (ruskojazychnyj) et « rusofon », le russophone, mot compris mais non attesté dans les dictionnaires.

On voit bien dans ces conditions que la russophonie est un patrimoine commun (à l’instar de la francophonie), un élément d’enrichissement et enfin un facteur de réconciliation et de rapprochement entre les peuples et non de confrontation. A condition bien sûr de ne pas chercher à y pousser des peuples déjà peu épargnés par l’Histoire au siècle dernier.

 

Dimitri de Kochko (Septembre 2008