La  Russophonie : Traduire la russophonie

 

Pour l’espace de culture que représente la russophonie, la traduction vers d’autres langues est paradoxalement un Peut-on traduire la russophonie

 

La russophonie c’est l’usage de la langue russe. Partout dans le monde, par des millions de gens de centaines de nationalités, pratiquant des dizaines de langues différentes et diverses religions, avec des cultures et des convictions dont la diversité est déjà en soi une richesse de l’humanité. Malheureusement, souvent méconnue.

 

Car cette diversité est souvent celle de peuples peu nombreux, pas forcément prospères, et parfois placés par la géographie loin des pôles de développement et par l’Histoire au sein d’un empire qui a gommé leur identité vis-à-vis de l’extérieur, tout en leur garantissant une existence à l’intérieur.

 

Il existe aujourd’hui un espace d’échange mondial et de culture autour de l’usage de la langue russe qu’on peut appeler la russophonie.

Mais il reste du chemin à parcourir pour une pleine prise de conscience de son rôle et de ses possibilités pour être ou rester un pôle culturel du globe. De cette dernière, naîtra la volonté de la structurer un tant soit peu pour lui permettre de répondre à ce qu’en attendent les russophones du monde entier, quel que soit leur pays ou leur langue, en plus du russe.

 

Ces attentes sont là et elles ne seront pas éternelles. Elles sont de plusieurs ordres et y répondre relève de l’initiative et de la responsabilité de tous ceux qui jugent le russe nécessaire et à qui cette langue est chère. Et par conséquent pas de la seule Russie. Cette dernière est évidemment en première ligne. On en attend beaucoup mais pas tout et surtout plus un retour de l’empire. Elle a fait un effort mais en direction pour le moment de ses « compatriotes ».

 

Il faut d’abord à la russophonie, comme à toutes langue qui n’est pas l’apanage d’un seul pays, les moyens de sa perpétuation et de son extension à l’international. Cela passe par des établissements ouverts et accessibles à tous sur le modèle des Alliance françaises, des Instituts Goethe, Cervantes ou British Council. Par des soutiens et des moyens aux établissements d’enseignement dans les pays russophones.

 

Remplir son rôle de communication entre nationalitéss de l’ex mais aussi de connaissance à l’extérieur des différents peuples et cultures. Mais aussi connaissance de l’extérieur par les différents peuples par le russe . Trad de l’amerloque en russe pour azeris.

 

Enfin rôle géopolitique : Russie mais surtout de conciliation au sein de l’ex empire et avec l’extérieur.

 

 

a La langue russe porte encore aujourd’hui le poids de l’Histoire. Dans la plupart des régions de la « russophonie », l’Histoire pèse dans les mémoires d’un poids peu compréhensible en Occident. Les enchevêtrements de différents empires y ont mêlé les destins et accumulé les contentieux. Dans ces conditions, rechercher les voies de réconciliation et de rapprochement en valorisant ce que les gens ont en commun est autrement plus difficile que d’attiser les différences et les iniquités.

Surtout, lorsque la prospérité se fait attendre.

La langue russe est l’un de ces dénominateurs communs. Pourtant elle se retrouve aussi au centre de polémiques, de violations de droits et de libertés et même de conflits.

Elle a cessé aujourd’hui d’être la langue dominante d’un empire, elle reste seulement un véhicule utile, efficace et respectueux des différences et des particularités, pour communiquer d’une part entre peuples de l’ex-empire et de sa diaspora mais d’autre part aussi avec l’extérieur. Car rares sont les francophones, par exemple, qui apprennent l’ouzbek et rares sont les Azéris qui savent le wolof ou le swahili pour se faire connaître en Afrique.

Le russe est là aussi dénominateur commun. Avec l’anglais certes mais ce dernier est moins évident pour ceux qui ont pratiqué le russe en même temps que leur langue et le niveau de communication et les connotations sont complètement différentes.

 

En plus, de son rôle de communication entre contemporains, le russe est aussi porteur d’une culture riche, diverse et multinationale. Il est la langue d’une partie de la vie, de la pensée et des réalisations des ancêtres qui ont peuplé l’empire et qui réfléchissaient en plusieurs langues, dont le russe. Pour les jeunes générations des pays de l’ex URSS, le perdre c’est se fermer la compréhension d’une partie de ses propres racines.

 

Eh bien, malgré l’utilité pratique, l’héritage culturel et familial, le caractère pérenne et peu contraignant de la communication qu’elle permet, la langue russe se retrouve parfois bouc émissaire de tensions et de rancunes. Des politiciens en quête de légitimité trouvent commode de la prendre à partie ou au contraire de s’en proclamer défenseurs exclusifs. En général aux dépends d’autres programmes. ?????

 

Comme la langue est une manifestation visible, audible et évidente, c’est la victime expiatoire de choix lorsqu’il apparaît possible de gagner des points de légitimité politique à bon compte sur les ruines de l’empire effondré. La recette passe par l’exploitation du désarroi de populations en quête d’identité, après la perte de repères et souvent de leurs maigres biens.

Paradoxalement, cette légitimité gagnée par les appels à la haine de gens qui se sont sentis humiliés, offensés et spoliés sous l’empire, et plus encore lors de sa chute, aboutit, à la faveur de mesures contre l’usage du russe, à les appauvrir encore.

Car comment qualifier autrement le renoncement à la richesse que représente une langue, sous prétexte qu’elle est un patrimoine commun avec d’anciens oppresseurs, réels ou supposés, en oubliant qu’elle l’est aussi avec d’anciens « opprimés » ou considérés comme tels.

 

Le capharnaüm ethnique qui règne dans les décombres d’un empire ouvre la voie à toutes les confusions qu’il est possible ou facile d’exploiter

Et malheureusement, aux situations compliquées et/ou absurdes qu’on relève ici ou là, s’ajoutent les confusions les erreurs de termes entre russophones et Russes, relevéEs dans les gazettes françaises, qui ne font qu’ajouter à la confusion et ne vont ni dans le sens d’une meilleure compréhension des choses, ni dans celui d’un souci de réconciliation. On n’ose penser que c’est voulu ! (cf. encadré)

 

Mettons les choses au point : il y a environ 150 millions de Russes (plus exactement Russiens pour inclure les Tatares, les Mordves, les Tchétchènes et toutes les autres nationalités de Russie) dans le monde et au moins le double de russophones, selon  les estimations les plus basses. Cela inclut les populations de l’ex URSS et les diasporas aux Amériques, en Australie, en Israël, en Allemagne, en France….

 

Compliquons les choses. Car c’est là une des pommes de discorde. Il y a deux sortes de « russophones ».

Le russophone qui parle le russe ET sa langue ou ses langues. Pour la version trilingue c’est justement le cas des Ossètes (Alains) qui parlent souvent russe, ossète et géorgien, ou des Tadjiks d’Ouzbekistan ou des Turcs Meskhètes de Moldavie… En bilingues, c’est le cas des Arméniens, des Azéris, des Ouzbeks, des Lituaniens ou des Lettons, mais aussi des Israéliens, des Allemands, des Américains, etc.

Et il y a ceux qui ne parlent QUE le russe ou en russe essentiellement. En dehors des habitants de la Fédération de Russie, ce sont le plus souvent des Russes ou des gens d’autres nationalités de l’ex-URSS (Ukrainiens, Biélorusses, Moldaves, Juifs, Tatars…) transplantés au sein de l’ex-empire dans un « pays » tiers, notamment dans les pays baltes. Ils y constituent alors des minorités souvent nombreuses, parfois sujettes à conflit.

Soit parce que des autorités du moment estiment utile de nier leurs différences et leurs droits de minorité et de les réduire à un statut de citoyens de seconde zone, au mépris des lois et principes de l’Union européenne. Soit, parce que certaines tendances politiques de ces minoritaires uniquement russophones, pensent pouvoir défendre leurs droits en voulant ignorer leur appartenance à un nouveau pays. Le plus souvent, les deux aspects se mêlent.

Ainsi les deux communautés, parfois sourdement encouragées sur cette voie,  s’obsèdent sur ce qui les divise, ignorant ce qu’elles ont en commun. Cela pourrait pourtant pousser à davantage de conciliation, si les choses étaient ? Clairement établies entre les protagonistes et si un respect réciproque et sincère des différences et de la personnalité de chacun est était ?  Placé au centre des relations, au lieu de cultiver la haine, la rancœur et le mépris.

Dans ces conditions, la russophonie et tout particulièrement la littérature en russe, commune à plusieurs peuples, est un patrimoine commun (à l’instar de la francophonie), un élément d’enrichissement et enfin un facteur de réconciliation et de rapprochement entre les peuples et non de confrontation. A condition bien sûr de ne pas chercher à y pousser des peuples déjà peu épargnés par l’Histoire au siècle dernier.

C’est l’une des significations du Prix Russophonie.

 

 

                                                                       Dimitri de Kochko (Septembre 2008)

 

 

 

ENCADRE 1:      Russes et russophones

 

Le terme « russophone » a connu cette année une notoriété certaine. Malheureusement non dépourvue d’ambiguïté.

Commençons par les déclarations du président français Nicolas Sarkozy lors de son voyage à Moscou et à Tbilissi en août dernier, en pleine crise d’Ossétie. Il a alors reconnu aux Russes le droit légitime de défendre les « russophones » dans le monde. C’était sans doute plus que ne lui demandaient le Président et le Premier ministre russes et c’est loin d’être le souhait de tous les russophones du monde.

Mais si dans le cas des propos présidentiels, on peut supposer un lapsus un peu rapide, il n’en est pas toujours de même dans de nombreux articles et infographies de certains journaux, y compris de grands quotidiens français tels le Monde, le Figaro ou Libération…

Dans tous ces cas, le mot est employé d’une manière fautive qui induit une erreur non seulement sémantique mais aussi d’analyse géopolitique. Il s’agit d’une confusion entre les mots russophone et russe. C’est une erreur bien étonnante, soit dit en passant, de la part de Français qui savent se distinguer des autres francophones !

Ainsi, dans certaines cartes infographiques, notamment et pour prendre un exemple particulièrement révélateur, celle du Monde daté du dernier week-end d’août[1], on lit avec un certain étonnement que l’Ukraine ne compterait que17,3% de russophones, alors qu’il s’agit bien évidemment de Russes. L’Ukraine compte facilement 85 à 90% de russophones dans l’ensemble du pays. Moins en Galicie et 100% en Crimée, dont 60% sont Russes. Le Figaro, quelques jours plus tôt, ne voyait pour sa part que 58% de « russophones » dans la presqu’île, où tout le monde parle russe et où la langue a d’ailleurs un statut officiel avec l’ukrainien et le tatare.

C’est la même chose pour la Moldavie : le Monde n’y voit que 5,8% de russophones alors que 95% des gens parlent russe, dont 60% à concurrence avec le roumain. En Arménie, les 0,5% affichés par le Monde sont franchement comiques, sans parler de la Biélorussie où 11,4% de russophones, selon la carte, ont de quoi étonner une population intégralement et souvent uniquement russophone…

 

Quand Nicolas Sarkozy reconnaît un droit à la Russie de prendre la défense de « russophones» en Géorgie et sous-entendu ailleurs, comme l’ont souligné quelques commentateurs français souvent pour s’en indigner alors qu’ils admettent tout à fait la chose pour d’autres pays, il parle évidemment des Ossètes. Ces derniers ont reçu la citoyenneté russe (comme leurs compatriotes du nord) pour pouvoir voyager, puisqu’ils n’avaient plus de passeports géorgiens depuis les affrontements de 1992. Ces derniers avaient déjà vu des nationalistes géorgiens se livrer à des massacres contre les Ossètes du sud, ce qui explique la « république séparatiste », née à cette époque sur les cendres de contentieux encore plus anciens, notamment des affrontements en 1918.

 

Mais les gens de nationalité ossète sont aussi russophones que … les Géorgiens. Or les Russes n’intervenaient pas en août 2008 pour défendre les Géorgiens, sauf erreur, si ce n’est peut-être contre leur propre président.

 

 

 

Encadré 2:     Parlons traduction :

 

En russe, l’ambiguïté entre les deux types de « russophones » pourrait se résoudre car il existe deux mots différents : «le parlant russe» (ruskojazychnyj) et « rusofon », le russophone, néologisme compris mais non attesté dans les dictionnaires.

Si l’on pouvait en nommant ainsi les choses, contribuer à désamorcer les conflits !

[1] dimanche 31 août-lundi 1er septembre 2008