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La Russophonie : Instrument de reconciliation

La Russophonie, espace de cultures anciennes et de nouvelles solidarités.

La russophonie aujourd’hui est l’espace linguistique et culturel commun à de nombreux peuples, indépendamment de leurs appartenances ethniques, nationales, religieuses, politiques, voire même stratégiques. C’est un patrimoine commun qui rassemble de fait des populations parfois poussées à l’affrontement dans le chaos post-soviétique. Cette vocation unificatrice et pacifique est déjà une justification suffisante pour élargir à tout le monde russophone un prix littéraire récompensant la meilleure traduction de russe en français. Quinze ans après l’éclatement de l’URSS et les vagues d’émigration de populations russophones qu’a connues le siècle dernier dans le monde entier, la notion de russophonie répond à la réalité géopolitique contemporaine. Le russe n’est plus la langue appartenant à la seule Russie. Il est devenu l’outil de communication commun privilégié, souvent indispensable et unique dans beaucoup de pays de l’ex-URSS, voire de l’est de l’Europe, ou entre personnes y ayant vécu. Il est quelquefois le seul moyen d’accès à des écrits scientifiques ou technologiques de haut niveau. Il est un lien avec le reste de la communauté internationale. Ce caractère mondial justifie l’intérêt que l’on peut porter au russe également en France, à une échelle dépassant quelques spécialistes. Compte tenu de nos tendances à rationaliser et classer les choses, c’est paradoxalement en France, pays faiblement russophone, qu’est née l’initiative de nommer la russophonie et de concrétiser notre volonté de ne pas rester en dehors de ce nouvel espace à vocation universelle.

L’exemple de la francophonie

Bien sûr, l’exemple de la francophonie n’est pas étranger à l’initiative. Les Français ont bien compris que le rayonnement de leur pays a pu se maintenir dans le monde, pour une bonne part, grâce à la francophonie. Les Français disséminés ici ou là dans le monde n’auraient pas pu assurer la pérennité d’un tel espace culturel et linguistique, souvent source de solidarités dans des domaines politiques, stratégiques, commerciaux. Ils se sont donc résolus à partager leur langue et à participer au développement du patrimoine commun.

Car la francophonie n’est pas née en France ! Elle a mis du temps à y être comprise et acceptée : près de deux cents ans, disent les Québécois ou, les Cajuns…

Il a fallu les indépendances africaines et des initiatives comme celles du poète-Président sénégalais Léopold Sédar Senghor, soucieux de préserver le seul élément unificateur entre les nouveaux états indépendants, souvent artificiellement créés par la colonisation. Pour eux, la francophonie était une nécessité, un atout supplémentaire.

Cela semblait moins évident pour la France car la France est naturellement francophone. Tout comme la Russie d’aujourd’hui est naturellement russophone et pense plus en terme de « compatriotes à l’étranger » qu’en termes de partage de son héritage linguistique et culturel.

Prix Russophonie

Pourtant, en Asie centrale, dans le Caucase, voire même dans les pays baltes, nombreux sont ceux dont la culture personnelle est intimement liée à la langue russe à laquelle ils restent attachés sans pour autant renier leur propre langue, culture ou nationalité. Sans compter que pour eux, le russe est souvent le meilleur ou le seul moyen de communiquer entre eux, d’accéder à la littérature mondiale scientifique ou spécialisée, de profiter d’un Internet plus vaste et plus riche…

On retrouve la même aspiration parmi les russophones souvent nombreux en Israël, en Allemagne, en Australie, en Amérique ou en France. Hâtivement perçus comme « Russes », les Ukrainiens, Géorgiens, Biélorusses, Moldaves ou Lituaniens vivant dans ces parties du monde créent souvent une solidarité russophone de fait, sans perdre pour autant leur identité nationale. Ils ne peuvent plus être considérés simplement comme des compatriotes par les Russes ou comme des « Russes » par les autres. Sur le terrain, dans la presse et sur Internet, la réalité s’est créée. Il lui restait à être nommée et définie. C’est chose faite en France. Puisse le prix littéraire « Rusofonia » – Russophonie en être une première illustration appelée à durer et à s’élargir comme l’espace russophone lui-même, garant, comme les espaces francophones, lusophones, hispanophones, germanophones ou arabophones, de la biodiversité linguistique et culturelle dans un monde que l’on peut souhaiter véritablement multipolaire.

 

Dimitri de Kochko

 

“Rusofonia” © Nicolas de Kochko

 

Et pourtant ils communiquent en russe…

 

En novembre dernier, le Président géorgien Mikhaïl Saakachvili a demandé à son homologue ukrainien, Viktor Iouchenko d’être le parrain de son enfant.

Les deux mènent actuellement la même politique hostile à la Russie afin, notamment, de se faire admettre à l’OTAN. Mais ils ont un autre point commun : s’ils veulent parler sans interprète ils le font en russe ! Il en est de même entre un Ouzbek et un Letton, un Israélien et un Bulgare, sans même parler de l’ancien étudiant congolais en URSS qui souhaite communiquer avec un Australien descendant de cosaques ou le scientifique biélorusse d’Oklahoma City « chattant » sur Internet avec un Allemand de la Volga revenu à Nuremberg…

 

La Russophonie : Traduire la russophonie

La  Russophonie : Traduire la russophonie

 

Pour l’espace de culture que représente la russophonie, la traduction vers d’autres langues est paradoxalement un Peut-on traduire la russophonie

 

La russophonie c’est l’usage de la langue russe. Partout dans le monde, par des millions de gens de centaines de nationalités, pratiquant des dizaines de langues différentes et diverses religions, avec des cultures et des convictions dont la diversité est déjà en soi une richesse de l’humanité. Malheureusement, souvent méconnue.

 

Car cette diversité est souvent celle de peuples peu nombreux, pas forcément prospères, et parfois placés par la géographie loin des pôles de développement et par l’Histoire au sein d’un empire qui a gommé leur identité vis-à-vis de l’extérieur, tout en leur garantissant une existence à l’intérieur.

 

Il existe aujourd’hui un espace d’échange mondial et de culture autour de l’usage de la langue russe qu’on peut appeler la russophonie.

Mais il reste du chemin à parcourir pour une pleine prise de conscience de son rôle et de ses possibilités pour être ou rester un pôle culturel du globe. De cette dernière, naîtra la volonté de la structurer un tant soit peu pour lui permettre de répondre à ce qu’en attendent les russophones du monde entier, quel que soit leur pays ou leur langue, en plus du russe.

 

Ces attentes sont là et elles ne seront pas éternelles. Elles sont de plusieurs ordres et y répondre relève de l’initiative et de la responsabilité de tous ceux qui jugent le russe nécessaire et à qui cette langue est chère. Et par conséquent pas de la seule Russie. Cette dernière est évidemment en première ligne. On en attend beaucoup mais pas tout et surtout plus un retour de l’empire. Elle a fait un effort mais en direction pour le moment de ses « compatriotes ».

 

Il faut d’abord à la russophonie, comme à toutes langue qui n’est pas l’apanage d’un seul pays, les moyens de sa perpétuation et de son extension à l’international. Cela passe par des établissements ouverts et accessibles à tous sur le modèle des Alliance françaises, des Instituts Goethe, Cervantes ou British Council. Par des soutiens et des moyens aux établissements d’enseignement dans les pays russophones.

 

Remplir son rôle de communication entre nationalitéss de l’ex mais aussi de connaissance à l’extérieur des différents peuples et cultures. Mais aussi connaissance de l’extérieur par les différents peuples par le russe . Trad de l’amerloque en russe pour azeris.

 

Enfin rôle géopolitique : Russie mais surtout de conciliation au sein de l’ex empire et avec l’extérieur.

 

 

a La langue russe porte encore aujourd’hui le poids de l’Histoire. Dans la plupart des régions de la « russophonie », l’Histoire pèse dans les mémoires d’un poids peu compréhensible en Occident. Les enchevêtrements de différents empires y ont mêlé les destins et accumulé les contentieux. Dans ces conditions, rechercher les voies de réconciliation et de rapprochement en valorisant ce que les gens ont en commun est autrement plus difficile que d’attiser les différences et les iniquités.

Surtout, lorsque la prospérité se fait attendre.

La langue russe est l’un de ces dénominateurs communs. Pourtant elle se retrouve aussi au centre de polémiques, de violations de droits et de libertés et même de conflits.

Elle a cessé aujourd’hui d’être la langue dominante d’un empire, elle reste seulement un véhicule utile, efficace et respectueux des différences et des particularités, pour communiquer d’une part entre peuples de l’ex-empire et de sa diaspora mais d’autre part aussi avec l’extérieur. Car rares sont les francophones, par exemple, qui apprennent l’ouzbek et rares sont les Azéris qui savent le wolof ou le swahili pour se faire connaître en Afrique.

Le russe est là aussi dénominateur commun. Avec l’anglais certes mais ce dernier est moins évident pour ceux qui ont pratiqué le russe en même temps que leur langue et le niveau de communication et les connotations sont complètement différentes.

 

En plus, de son rôle de communication entre contemporains, le russe est aussi porteur d’une culture riche, diverse et multinationale. Il est la langue d’une partie de la vie, de la pensée et des réalisations des ancêtres qui ont peuplé l’empire et qui réfléchissaient en plusieurs langues, dont le russe. Pour les jeunes générations des pays de l’ex URSS, le perdre c’est se fermer la compréhension d’une partie de ses propres racines.

 

Eh bien, malgré l’utilité pratique, l’héritage culturel et familial, le caractère pérenne et peu contraignant de la communication qu’elle permet, la langue russe se retrouve parfois bouc émissaire de tensions et de rancunes. Des politiciens en quête de légitimité trouvent commode de la prendre à partie ou au contraire de s’en proclamer défenseurs exclusifs. En général aux dépends d’autres programmes. ?????

 

Comme la langue est une manifestation visible, audible et évidente, c’est la victime expiatoire de choix lorsqu’il apparaît possible de gagner des points de légitimité politique à bon compte sur les ruines de l’empire effondré. La recette passe par l’exploitation du désarroi de populations en quête d’identité, après la perte de repères et souvent de leurs maigres biens.

Paradoxalement, cette légitimité gagnée par les appels à la haine de gens qui se sont sentis humiliés, offensés et spoliés sous l’empire, et plus encore lors de sa chute, aboutit, à la faveur de mesures contre l’usage du russe, à les appauvrir encore.

Car comment qualifier autrement le renoncement à la richesse que représente une langue, sous prétexte qu’elle est un patrimoine commun avec d’anciens oppresseurs, réels ou supposés, en oubliant qu’elle l’est aussi avec d’anciens « opprimés » ou considérés comme tels.

 

Le capharnaüm ethnique qui règne dans les décombres d’un empire ouvre la voie à toutes les confusions qu’il est possible ou facile d’exploiter

Et malheureusement, aux situations compliquées et/ou absurdes qu’on relève ici ou là, s’ajoutent les confusions les erreurs de termes entre russophones et Russes, relevéEs dans les gazettes françaises, qui ne font qu’ajouter à la confusion et ne vont ni dans le sens d’une meilleure compréhension des choses, ni dans celui d’un souci de réconciliation. On n’ose penser que c’est voulu ! (cf. encadré)

 

Mettons les choses au point : il y a environ 150 millions de Russes (plus exactement Russiens pour inclure les Tatares, les Mordves, les Tchétchènes et toutes les autres nationalités de Russie) dans le monde et au moins le double de russophones, selon  les estimations les plus basses. Cela inclut les populations de l’ex URSS et les diasporas aux Amériques, en Australie, en Israël, en Allemagne, en France….

 

Compliquons les choses. Car c’est là une des pommes de discorde. Il y a deux sortes de « russophones ».

Le russophone qui parle le russe ET sa langue ou ses langues. Pour la version trilingue c’est justement le cas des Ossètes (Alains) qui parlent souvent russe, ossète et géorgien, ou des Tadjiks d’Ouzbekistan ou des Turcs Meskhètes de Moldavie… En bilingues, c’est le cas des Arméniens, des Azéris, des Ouzbeks, des Lituaniens ou des Lettons, mais aussi des Israéliens, des Allemands, des Américains, etc.

Et il y a ceux qui ne parlent QUE le russe ou en russe essentiellement. En dehors des habitants de la Fédération de Russie, ce sont le plus souvent des Russes ou des gens d’autres nationalités de l’ex-URSS (Ukrainiens, Biélorusses, Moldaves, Juifs, Tatars…) transplantés au sein de l’ex-empire dans un « pays » tiers, notamment dans les pays baltes. Ils y constituent alors des minorités souvent nombreuses, parfois sujettes à conflit.

Soit parce que des autorités du moment estiment utile de nier leurs différences et leurs droits de minorité et de les réduire à un statut de citoyens de seconde zone, au mépris des lois et principes de l’Union européenne. Soit, parce que certaines tendances politiques de ces minoritaires uniquement russophones, pensent pouvoir défendre leurs droits en voulant ignorer leur appartenance à un nouveau pays. Le plus souvent, les deux aspects se mêlent.

Ainsi les deux communautés, parfois sourdement encouragées sur cette voie,  s’obsèdent sur ce qui les divise, ignorant ce qu’elles ont en commun. Cela pourrait pourtant pousser à davantage de conciliation, si les choses étaient ? Clairement établies entre les protagonistes et si un respect réciproque et sincère des différences et de la personnalité de chacun est était ?  Placé au centre des relations, au lieu de cultiver la haine, la rancœur et le mépris.

Dans ces conditions, la russophonie et tout particulièrement la littérature en russe, commune à plusieurs peuples, est un patrimoine commun (à l’instar de la francophonie), un élément d’enrichissement et enfin un facteur de réconciliation et de rapprochement entre les peuples et non de confrontation. A condition bien sûr de ne pas chercher à y pousser des peuples déjà peu épargnés par l’Histoire au siècle dernier.

C’est l’une des significations du Prix Russophonie.

 

 

                                                                       Dimitri de Kochko (Septembre 2008)

 

 

 

ENCADRE 1:      Russes et russophones

 

Le terme « russophone » a connu cette année une notoriété certaine. Malheureusement non dépourvue d’ambiguïté.

Commençons par les déclarations du président français Nicolas Sarkozy lors de son voyage à Moscou et à Tbilissi en août dernier, en pleine crise d’Ossétie. Il a alors reconnu aux Russes le droit légitime de défendre les « russophones » dans le monde. C’était sans doute plus que ne lui demandaient le Président et le Premier ministre russes et c’est loin d’être le souhait de tous les russophones du monde.

Mais si dans le cas des propos présidentiels, on peut supposer un lapsus un peu rapide, il n’en est pas toujours de même dans de nombreux articles et infographies de certains journaux, y compris de grands quotidiens français tels le Monde, le Figaro ou Libération…

Dans tous ces cas, le mot est employé d’une manière fautive qui induit une erreur non seulement sémantique mais aussi d’analyse géopolitique. Il s’agit d’une confusion entre les mots russophone et russe. C’est une erreur bien étonnante, soit dit en passant, de la part de Français qui savent se distinguer des autres francophones !

Ainsi, dans certaines cartes infographiques, notamment et pour prendre un exemple particulièrement révélateur, celle du Monde daté du dernier week-end d’août[1], on lit avec un certain étonnement que l’Ukraine ne compterait que17,3% de russophones, alors qu’il s’agit bien évidemment de Russes. L’Ukraine compte facilement 85 à 90% de russophones dans l’ensemble du pays. Moins en Galicie et 100% en Crimée, dont 60% sont Russes. Le Figaro, quelques jours plus tôt, ne voyait pour sa part que 58% de « russophones » dans la presqu’île, où tout le monde parle russe et où la langue a d’ailleurs un statut officiel avec l’ukrainien et le tatare.

C’est la même chose pour la Moldavie : le Monde n’y voit que 5,8% de russophones alors que 95% des gens parlent russe, dont 60% à concurrence avec le roumain. En Arménie, les 0,5% affichés par le Monde sont franchement comiques, sans parler de la Biélorussie où 11,4% de russophones, selon la carte, ont de quoi étonner une population intégralement et souvent uniquement russophone…

 

Quand Nicolas Sarkozy reconnaît un droit à la Russie de prendre la défense de « russophones» en Géorgie et sous-entendu ailleurs, comme l’ont souligné quelques commentateurs français souvent pour s’en indigner alors qu’ils admettent tout à fait la chose pour d’autres pays, il parle évidemment des Ossètes. Ces derniers ont reçu la citoyenneté russe (comme leurs compatriotes du nord) pour pouvoir voyager, puisqu’ils n’avaient plus de passeports géorgiens depuis les affrontements de 1992. Ces derniers avaient déjà vu des nationalistes géorgiens se livrer à des massacres contre les Ossètes du sud, ce qui explique la « république séparatiste », née à cette époque sur les cendres de contentieux encore plus anciens, notamment des affrontements en 1918.

 

Mais les gens de nationalité ossète sont aussi russophones que … les Géorgiens. Or les Russes n’intervenaient pas en août 2008 pour défendre les Géorgiens, sauf erreur, si ce n’est peut-être contre leur propre président.

 

 

 

Encadré 2:     Parlons traduction :

 

En russe, l’ambiguïté entre les deux types de « russophones » pourrait se résoudre car il existe deux mots différents : «le parlant russe» (ruskojazychnyj) et « rusofon », le russophone, néologisme compris mais non attesté dans les dictionnaires.

Si l’on pouvait en nommant ainsi les choses, contribuer à désamorcer les conflits !

[1] dimanche 31 août-lundi 1er septembre 2008

La Russophonie : Une décennie tout en nuance

Russophonie :  une décennie tout en nuance

 

Depuis 10 ans, la russophonie a un prix ! Celui de la meilleure traduction du russe en français. Le prix, les ouvrages examinés par un jury indépendant, les auteurs, traducteurs et lecteurs concernés ont montré la diversité du monde russophone et un des aspects du potentiel de la russophonie.

En se prêtant au jeu des bilans à l’occasion de ce dixième anniversaire, l’état des lieux est pour le moins nuancé.  Pour s’institutionnaliser et prendre pleinement sa place dans le monde avec les quatre autres «langues-ponts» (l’anglais, le français, l’espagnol et le portugais),  le russe se heurte à deux obstacles contradictoires : une hostilité politique systématique, parfois nuisible à ceux-là même qui la pratiquent, d’une part et, plus étonnant en apparence, à une certaine réticence de certains Russes.

Le premier obstacle, l’hostilité, n’est malheureusement pas étonnant dans le contexte de nouvelle guerre froide. Le déchainement russophobe de certains pouvoirs nationalistes de pays de l’ancien bloc soviétique où les russophones sont précisément nombreux se mêle à la détestation distillée par la plupart des médias occidentaux.

 

La russophonie à l’épreuve de la russophobie

 

La crise ukrainienne aidant, les tendances extrêmes n’ont fait que se renforcer.  Ce rejet volontaire ou contraint d’une partie de ses propres acquits pénalise ceux-là même qui le pratiquent : on se coupe d’une partie de sa propre histoire, de son voisinage et des possibilités d’échanges culturels et économiques, on empêche la jeunesse d’acquérir facilement une langue et d’accéder aux  sources d’information, notamment scientifiques.

Il est illusoire de penser que l’apprentissage de l’anglais compense  les discriminations voire l’interdiction du russe. On constate qu’il n’y a que les couches les plus aisées et les plus cultivées qui acquièrent l’anglais, tout en gardant le russe parallèlement à leur propre langue. Les autres perdent le russe, n’apprennent pas vraiment l’anglais et il ne leur reste que leur langue. C’est moins vrai dans les pays baltes qu’en Asie centrale ou dans le Caucase mais la tendance est là. De même, si dans l’ensemble russophone, les pays baltes ou de l’Asie centrale ont naturellement leur place, bien peu de gens leur prêtent la moindre attention dans le monde anglophone où la concurrence est plus sévère, les contraintes économiques et démographiques plus nombreuses.

 

La russophonie réelle

Au cours des dix années du Prix russophonie et, plus récemment, des journées du livre russe et des littératures russophones, la réalité concrète de la russophonie s’est manifestée lors des nombreuses rencontres entre  auteurs, lecteurs, professionnels du livre de différents pays. Ce fut illustré clairement lors d’une rencontre avec et entre écrivains d’Asie Centrale en 2012.

 

Russophonie quand tu nous tiens !

 

Le rejet géopolitique du russe aboutit parfois à des situations cocasses qui illustrent notre propos à contrario : on se souvient des échanges en russe, malgré leur  russophobie partagée du Géorgien Saakachvili et de l’Ukrainien Youchenko, alors présidents de leurs pays.  Le premier aujourd’hui devenu «gouverneur» d’Odessa ne peut exercer son pouvoir qu’en russe et c’est aussi en en russe qu’il s’est disputé avec le ministre de l’intérieur Arsen Avakov, d’origine arménienne pour savoir qui était le plus … ukrainien des deux (3)!

 

Les réticences

 

Malheureusement, les Russes donnent souvent l’impression de ne pas comprendre et de ne pas vouloir vraiment préserver le caractère international de leur langue. Cette dernière semble être un élément d’identité tel qu’ils ne parviennent pas à la partager ou à la séparer d’une appartenance nationale. Ce fut le cas des Français pendant deux siècles,  qui n’avaient pas conscience de l’importance du français pour les peuples colonisés, puisque c’était «naturel». Il a fallu attendre l’émancipation de l’Afrique pour que naisse la francophonie dont le processus a été favorisé par l’Etat français, laïque et  républicain. La réalité russe et russophone est différente et la prise de conscience de la russophonie chez les Russes, n’est visiblement pas achevée.

 

Espérons que des initiatives comme le Prix Russophonie, créé il y a dix ans par la Fondation Eltsine et l’Association France-Oural, contribuent à leur modeste niveau à une pérennisation de l’espace linguistique et culturel de la russophonie, nécessaire pour préserver une part du capital historique de l’humanité, tirer partie de l’outil d’intégration européenne que représente la langue russe et pour offrir, à l’instar du français ou de l’espagnol, un complément au monopole de l’anglais et une alternative à sa façon de voir le monde.

 

Dimitri de Kochko

 

 

 

 

                    Русофония: десятилетие с некоторыми нюансами

 

Вот уже десять лет в области русофонии существует премия! Премия за лучший перевод с русского на французский!

Эта премия, равно как и рассмотренные независимым жюри произведения, их авторы, переводчики и заинтересованные читатели  показали,  как разнообразен мир русофонии, проявили его потенциал.

Однако подводя итоги десятилетней работы, нельзя не сказать и о тех  препятствиях, которые мешают русскому языку занять полноценное место языка-моста, какими являются английский, французский, испанский и португальский. Препятствий два, и они разнонаправлены. Первое – это систематически проводимая политика враждебности к русскому языку, зачастую несущая вред тем, кто ее проводит. Второе – неожиданное, на первый взгляд – непонимание русофонии некоторыми русскими.

В условиях  возобновившейся холодной войны враждебность к русскому, к сожалению, не удивительна. Тем более, что русофобия отдельных националистически настроенных властей в странах бывшего советского блока, где как раз много русскоговорящих, поддерживается вдобавок недоброжелательством большинства западных СМИ.

 

Руссофония ценнее русофобии

 

Украинский кризис усилил обе эти крайние позиции. Добровольный или принудительный отказ от части собственного наследия обедняет людей: отрезая часть собственной истории, отделяясь от соседей, обрывая культурные и экономические связи, они лишают свою молодежь возможности  пользоваться русским языком как источником информации, в том числе и научной.

Большая иллюзия думать, что изучение английского языка компенсирует дискриминации а то и запрет русского. На практике – английский становится достоянием среды культурной и продвинутой, сохраняющей также  и русский. Остальные теряют русский, не выучивают английский и говорят только на своем родном языке. Возможно, в прибалтийских странах с английским языком лучше, чем в Средней Азии или на Кавказе, но общая тенденция такова. Есть и еще один нюанс: в мире руссофонии и прибалтийские страны, и страны Средней Азии органично занимают свое место, тогда как в мире англофонии мало кто уделит внимание этим странам :  там царит жестокая экономическая, демографическая и культурная конкуренции.

 

Русофония в действии

 

На протяжении десяти лет существования премии Руссофония, во время Дней русской книги и литературы руссофонии русский язык был языком общения авторов, читателей, издателей многих стран. Особо показательной с этой точки зрения стала встреча с писателями Средней Азии в 2012 году.

 

Руссофония, куда от тебя деться?!

 

Геополитические гонения на русский язык не избавляют политиков от весьма своеобразных ситуаций, которые от противного доказывают насущность русофонии: президент Грузии Саакашвили и президент Украины Ющенко. вопреки русофобии общались на русском. Саакашвили, став губернатором Одессы, общается на русском с населением и по-русски спорит с армянином Арсеном Аваковым, кто из них больше… украинец!

 

Недопонимание

 

К несчастью, сами русские, похоже, не до конца понимают да и не хотят понять международную роль собственного языка.  Русский язык для них до такой степени инструмент самоопределения, что им трудно отделить его от национальной принадлежности. То же самое было и с французами : на протяжении двух веков они не осознавали значимости своего языка для колонизированных народов,  находя это совершенно «естественным».  Нужно было дождаться независимости Африки, чтобы был осознан феномен франкофонии, который стало поддерживать французское государство. В этом ему помог политический характер светской республики. Русофония и русская действительность не совпадающие явления, и русские пока не ли осознали до конца, что же такое руссофония.

 

Будем надеяться, что проекты, подобные премии Руссофония, которая была основана десять лет тому назад Фондом Ельцина и Ассоциацией Франс-Урал, внесут свой скромный вклад в укрепление лингвистического и культурного пространства  руссофонии, столь необходимого для сохранения в истории человечества входящих в него исторических и культурных ценностей. Будем надеяться, что русский язык наряду с французским и испанским станет инструментом европейской интеграции, дополнением к монополии английского, альтернативной картиной мира.

Димитри де Кошко

 

 

Les Journées du Livre russe et des Littératures Russophones

Association FranceOural                                                                                                                                                                                         14 rue des Tapisseries – 75017 Paris  contact.france.oural@gmail.com

france.oural@gmail.com
www.france-oural.fr
www.prix-russophonie.fr
Tel./fax : 33 (0)9 83 66 40 77                          Paris, le         7/03/2019

Les Journées du Livre russe et des Littératures Russophones

Созданные и организованные нашей Ассоциацией более 10 лет назад Дни Русской Книги и Русскоязычных Литератур – самое значимое культурное событие во Франции с целью открытия и распространения русской литературы и языка в творчестве писателей, поддержания их издателей во Франции и вознаграждения работы переводчиков. Они проходят в Париже, и являются одними из обязательных встреч франко-русского культурного календаря, привлекая все более многочисленную и разнообразную публику (более 3000 посетителей в этом году).

Успех Дней предопределяют три главные составляющие:

  • Литературные встречи с приглашенными русскими и французскими писателями (около 30), вокруг одной тематики, с автограф-сессиями и литературными диспутами;
  • Книжный салон – с участием более 50 издтельств, библиотек, книжных магазинов и ассоциаций;
  • Вознаграждение переводчиков вручением Премии Русофония после тщательного, длящегося весь год отбора произведений, представленных компетентному жюри, – всего около 50 книг, изданных в предыдущем вручению Премии году.

 

Также на Днях представлены:

  • Педагогическое направление – с мастер-классами по переводу, обменом опытом преподавания русского языка как иностранного и курсов русского языка для всех типов учеников (дети-билингвы, взрослые, иностранцы).
  • Культурное направление – фестиваль фильмов, чтения на двух языках литературных текстов (оригинал и перевод), театральные представления, художественные и фото-выставки, концерты.

 

«Союз носителей русского языка во Франции (AFR) уже несколько лет в рамках нашего фестиваля проводит национальный конкурс «предназначенный для учащихся государственных и частных школ, колледжей, лицеев, владеющих или нет русским языком». Торжественное вручение премии победителям проводится во время церемонии, предшествующей вручению Премии Русофония, после которой посетители получают бесплатный каталог Премии.

В 2019 году «Дни» проводились в десятый раз 16 и 17 февраля, в Мэрии 5 округа Парижа, 21, place du Panthéon. Приглашаем Вас ознакомиться с программой и расписанием фестиваля на нашем сайте : –Вы можете связаться с нами контакту

 

La Russophonie : Compatriotes ou russophones

Pour concevoir la notion de « russophonie »,  Les Russes connaissent actuellement les difficultés qu’ont connues avant eux les Français pour appréhender la notion de francophonie.

Pendant longtemps, et parfois aujourd’hui lorsque la langue fourche ou que le protocole n’a pas veillé à tout, il arrive que des officiels français baptisent de Français des Québéquois ou des Suisses romands, voire des Algériens ou des Sénégalais… Une langue commune rend plus proche. Les références communes, des perceptions identiques, voire des sonorités pinçant les mêmes cordes sensibles assurent l’appartenance à une même famille. C’est tout l’intérêt affectif de ce patrimoine commun.

On n’en est pas pour autant des compatriotes et comme dans toute famille, la personnalité de chacun doit pouvoir trouver sa place. Il est évident qu’il n’y a aucune intention de blesser ou de vexer dans cette appropriation de la part de Français ou de Russes. Il y aurait même là une véritable affection. Mais elle peut être ressentie par certains comme une étreinte par trop étouffante. En raison du poids de l’Histoire ou simplement par un souci d’identité bien compréhensible et d’autant plus exacerbé qu’il s’est senti nié ou amoindri dans le passé.

C’est pourquoi, sans même envisager les situations conflictuelles qui existent pourtant, la question de l’appellation compatriote n’est pas anodine et reste sensible.

Paradoxalement, elle l’est davantage aujourd’hui pour les Russes que pour les Français. Les seconds se sont faits à l’idée de francophonie et ont accepté les différences en commençant même à en apprécier les richesses (par exemple le « courriel » des Canadiens s’impose peu à peu en France même face au « mel »bien peu imaginatif des académiciens français… ). Les Russes et leurs anciens « compatriotes » soviétiques pour le coup, ne s’y habituent pas encore parfois.

Paradoxalement aussi parce que l’empire russe, précisément parce qu’il était un empire, a beaucoup moins nié ou réprimé les nationalités ou les langues dans ses territoires que la France jacobine. On ne tapait pas sur les doigts d’un petit Tatare ou d’un Nenets qui parlaient leurs langues dans les écoles russes. Simplement, s’il souhaitait une progression sociale il se devait de parler la langue commune des peuples de l’empire. Rien de tel en France où la notion de République a pris le dessus sur celui de l’appartenance nationale bretonne, alsacienne, corse ou catalane.

De ce fait, la notion de bilinguisme redevient naturelle pour les Français après la parenthèse du XXème siècle, alors qu’elle n’a jamais cessé de l’être pour les Russes. Et pour ces derniers, la présence d’une seconde langue et la différence ethnique ou nationale affirmées n’ont jamais empêché d’être compatriote.

Dimitri de KOCHKO

 

Citation :  Мне кажется, что если мы будем считать его единственным центром только Российскую Федерацию в современных границах, то мы тем самым погрешим против исторической правды и искусственно отсечем от себя многие миллионы людей, которые осознают свою ответственность за судьбы Русского мира и считают его созидание главным делом своей жизни.

Нужно выработать такой тон отношений, с помощью которого проявлялось бы уважение друг к другу, исключался бы всякий патернализм, всякая попытка играть роль «старшего брата», подчеркивались бы национальные интересы каждой из стран и выражались соборные усилия в строительстве общественной жизни с опорой на общую духовно-культурную традицию. В одиночку даже самые крупные страны Русского мира не смогут отстоять свои духовные, культурные, цивилизационные интересы в глобализирующемся мире.

 

Можно было бы даже ввести в употребление такое понятие, как страна Русского мира. Оно означало бы, что страна относит себя к Русскому миру, если в ней используется русский язык как язык межнационального общения, развивается русская культура, а также хранится общеисторическая память и единые ценности общественного строительства. В данном случае я не предлагаю чего-то нового, ведь примерно по такому принципу существуют такие объединения, как Британское содружество наций, содружества франкоязычных и португалоязычных стран, ибероамериканский мир.

Чтобы такой Русский мир был сплоченной реальностью, а не аморфным образованием, необходимо одновременно действовать на нескольких уровнях. Прежде всего мы должны опираться на взаимодействие между гражданскими обществами стран Русского мира.

 

La Russophonie : La traduction au cœur

Pour l’espace de culture que représente la russophonie, la traduction vers d’autres langues et en provenance d’autres langues est une nécessité plus encore que pour d’autres langues.

 

Car la russophonie ce n’est pas seulement l’usage de la langue russe par et pour elle même. L’ensemble de locuteurs pour qui le russe est soit la langue maternelle, soit une seconde langue, soit une langue étrangère en usent aussi comme outil privilégié d’échanges et de découverte d’autres cultures.

Il se fait  partout dans le monde, par des millions de gens de centaines de nationalités, pratiquant des dizaines de langues différentes et diverses religions, avec des cultures et des convictions dont la diversité est déjà en soi une richesse de l’humanité. Malheureusement, souvent méconnue.

 

Car cette diversité est souvent celle de peuples peu nombreux, pas forcément prospères, et parfois placés par la géographie loin des pôles de développement et par l’Histoire au sein d’un empire qui a gommé leur identité vis-à-vis de l’extérieur, tout en leur garantissant une existence à l’intérieur.

 

Existence pleine de paradoxes au sein de l’empire, caractéristique de ces régimes depuis les empires romain ou perse, jusqu’aux Habsbourg et Romanoff suivis des soviétiques. Dans l’empire russe et soviétique, la langue russe a été à la fois celle du régime et du totalitarisme et donc la condition sine qua non de la promotion sociale, mais en même temps celle de la préservation et de la diffusion des cultures nationales au sein de l’empire et au-delà. En tout cas bien au-delà de ce qu’aurait permis une langue vernaculaire.

 

C’est bien sûr le cas des littératures, comme le disait l’écrivain kirghize Tchenguiz Aitmatov, invité de la première édition du prix russophonie où il a dit l’importance du russe pour les peuples d’Asie centrale. Elle était « son espace », comme le rappelle Irène Sokologorsky. Comme elle a été « l’espace » des cinémas estonien, géorgien ou kazakhe pour citer les plus brillants, qui ont été privés de public avec l’effondrement de l’empire. Comme elle est encore aujourd’hui une langue privilégiée d’échanges économiques pour les Moldaves, les Baltes, voire les Tchèques ou même les Polonais…

 

A l’inverse, les nouveautés, les progrès et la culture du monde ont pu pénétrer parmi les peuples et les langues les plus variées par l’intermédiaire du russe. Revues scientifiques américaines ou romans latino-américains sont accessibles au Bouriate ou à l’Azéri le plus souvent grâce au russe.

 

C’est parfois un aspect oublié de la russophonie qu’on a tendance à limiter au rayonnement de la seule Russie. Oubli qui commence bien souvent par les Russes eux-mêmes. Pourtant, si tous ceux qui se servent et sont attachés au russe veulent que cette langue garde son statut, son importance et sa valeur mondiale, ils doivent faire vivre ce vecteur là de la langue. Celui de la diffusion au reste du monde des cultures et apports de peuples russophones non russes et de la garantie de l’accessibilité aux dernières nouveautés technologiques, scientifiques et intellectuelles du reste du monde pour les peuples russophones aux langues moins répandues.

 

 

Ce rôle très actuel de la russophonie, qui menacerait sa place s’il est délaissé ou incompris, passe par la traduction. Dans les deux sens : du russe vers les langues du monde d’une part et d’autre part vers le russe à partir des langues plus locales liées à la russophonie et à partir des autres grandes langues du monde.

 

Le russe a cessé aujourd’hui d’être la langue dominante d’un empire, elle reste un véhicule utile, efficace pour communiquer entre peuples de l’ex-empire et avec l’extérieur. Rares sont les francophones, par exemple, qui apprennent l’ouzbek et rares sont les Azéris qui savent le wolof ou le swahili pour se faire connaître en Afrique. Tout aussi demandée est la traduction en russe d’ouvrages théoriques ou scientifiques les plus contemporains écrits en anglais ou en allemand, pour permettre non seulement au Russe mais aussi aux autres russophones d’en avoir connaissance. Si le russe ne sert plus à cela aussi,  les jeunes générations le délaisseront au profit du seul anglais !

 

C’est là une dimension de l’importance de la traduction pour la russophonie.

 

Il reste bien sûr la valeur traditionnelle de la traduction du russe en français. Celle de Melchior de Vogüe ou de Pierre Pascal. L’échange entre les espaces culturels et linguistiques  russes et français, russophones et francophones est étonnamment vivant et visiblement nécessaire aujourd’hui. Malgré l’image de la Russie désastreuse et il faut bien le dire fausse à force de parti pris, véhiculée par la plupart des médias français, l’intérêt pour la littérature en russe ne faiblit pas dans le monde francophone. En témoignent les quelque 60 traductions éditées en un an et présentées dans ce catalogue. Une quarantaine sont en plus de nouvelles traductions et participent à ce titre au prix russophonie.

 

La relation quasi affective entre les mentalités et les « âmes » gauloises et slaves ne se dément pas. Il en résulte un certain antidote aux ferments de haine distillés ça et là. Et de la découverte par la traduction peut naître bien souvent la volonté d’apprendre pour accéder à la connaissance de la langue de ceux qu’on a jusqu’à présent fréquenté grâce aux sous-titres. Et aujourd’hui, avec la russophonie et la francophonie, cette fréquentation dépasse la seule Russie ou la seule France, pour devenir un échange entre deux espaces culturels multiethniques.

 

Dimitri de Kochko,

Président de France-Oural

 

 

Russophones et russophones  … (encadré1)

 

Il y a environ 150 millions de Russes (plus exactement Russiens pour inclure les Tatares, les Mordves, les Tchétchènes et toutes les autres nationalités de Russie) dans le monde et au moins le double de russophones, soit 300 millions, selon les estimations les plus basses.

Cela inclut les populations de l’ex URSS et les diasporas aux Amériques, en Australie, en Israël, en Allemagne, en France….

 

Compliquons les choses.. Il y a deux sortes de « russophones ».

Le russophone qui parle le russe ET sa langue ou ses langues. Pour la version trilingue c’est justement le cas des Ossètes (Alains) qui parlent souvent russe, ossète et géorgien, ou des Tadjiks d’Ouzbekistan ou des Turcs Meskhètes de Moldavie… En bilingues, c’est le cas des Arméniens, des Azéris, des Ouzbeks, des Lituaniens ou des Lettons, mais aussi des Israéliens, des Allemands, des Américains, etc.

 

Et il y a ceux qui ne parlent QUE le russe ou en russe essentiellement. En dehors des habitants de la Fédération de Russie, ce sont le plus souvent des Russes ou des gens d’autres nationalités de l’ex-URSS (Ukrainiens, Biélorusses, Moldaves, Juifs, Tatars…) transplantés au sein de l’ex-empire dans un « pays » tiers, notamment dans les pays baltes. Ils y constituent alors des minorités souvent nombreuses, parfois sujettes à conflit.

Soit parce que des autorités du moment estiment utile de nier leurs différences et leurs droits de minorité et de les réduire à un statut de citoyens de seconde zone, au mépris des lois et principes de l’Union européenne. Soit, parce que certaines tendances politiques de ces populations, devenues des minorités uniquement russophones, pensent pouvoir défendre leurs droits en voulant ignorer leur appartenance à un nouveau pays. Le plus souvent, les deux aspects se mêlent.

 

En défendant la russophonie en tant que capital dont on a la chance de disposer quelles qu’en soient les raisons historiques, on ne peut que se désoler de voir deux communautés malgré tout russophones même si c’est très différemment, ignorer ce qu’elles ont en commun. Cela pourrait pourtant pousser à davantage de conciliation.

Le respect de principes européens, basés sur un respect réciproque et sincère des différences et du droit des minorités, allié notamment à l’exploitation de la richesse représentée par son patrimoine commun dont le russe fait partie, pourrait contribuer à éviter des querelles dérisoires mais tragiques dans l’Europe d’aujourd’hui à l’heure des menaces dues à la crise financière et économique.

 

Dimitri de Kochko (Septembre 2008)

Encadré 2:    traduction encore :

 

En russe, l’ambiguïté entre les deux types de « russophones » pourrait se résoudre car il existe deux mots différents : «le parlant russe» (ruskojazychnyj) et « rusofon », le russophone, néologisme compris mais non attesté dans les dictionnaires.

Si l’on pouvait en nommant ainsi les choses, contribuer à désamorcer les conflits !

 

 

 

ENCADRE 3:      Russes et russophones

 

Le terme « russophone » a connu cette année une notoriété certaine. Malheureusement non dépourvue d’ambiguïté.

Commençons par les déclarations du président français Nicolas Sarkozy lors de son voyage à Moscou et à Tbilissi en août dernier, en pleine crise d’Ossétie. Il a alors reconnu aux Russes le droit légitime de défendre les « russophones » dans le monde. C’était sans doute plus que ne lui demandaient le Président et le Premier ministre russes et c’est loin d’être le souhait de tous les russophones du monde.

Mais si dans le cas des propos présidentiels, on peut supposer un lapsus un peu rapide, il n’en est pas toujours de même dans de nombreux articles et infographies de certains journaux, y compris de grands quotidiens français tels le Monde, le Figaro ou Libération…

Dans tous ces cas, le mot est employé d’une manière fautive qui induit une erreur non seulement sémantique mais aussi d’analyse géopolitique. Il s’agit d’une confusion entre les mots russophone et russe. C’est une erreur bien étonnante, soit dit en passant, de la part de Français qui savent se distinguer des autres francophones !

Ainsi, dans certaines cartes infographiques, notamment et pour prendre un exemple particulièrement révélateur, celle du Monde daté du dernier week-end d’août[1], on lit avec un certain étonnement que l’Ukraine ne compterait que17,3% de russophones, alors qu’il s’agit bien évidemment de Russes. L’Ukraine compte facilement 85 à 90% de russophones dans l’ensemble du pays. Moins en Galicie et 100% en Crimée, dont 60% sont Russes. Le Figaro, quelques jours plus tôt, ne voyait pour sa part que 58% de « russophones » dans la presqu’île, où tout le monde parle russe et où la langue a d’ailleurs un statut officiel avec l’ukrainien et le tatare.

C’est la même chose pour la Moldavie : le Monde n’y voit que 5,8% de russophones alors que 95% des gens parlent russe, dont 60% à concurrence avec le roumain. En Arménie, les 0,5% affichés par le Monde sont franchement comiques, sans parler de la Biélorussie où 11,4% de russophones, selon la carte, ont de quoi étonner une population intégralement et souvent uniquement russophone…

 

Quand Nicolas Sarkozy reconnaît un droit à la Russie de prendre la défense de « russophones» en Géorgie et sous-entendu ailleurs, comme l’ont souligné quelques commentateurs français, il parle évidemment des Ossètes. Ces derniers ont reçu la citoyenneté russe (comme leurs compatriotes du nord) pour pouvoir voyager, puisqu’ils n’avaient plus de passeports géorgiens depuis les affrontements de 1992. Ces derniers avaient déjà vu des nationalistes géorgiens se livrer à des massacres contre les Ossètes du sud, ce qui explique la « république séparatiste », née à cette époque sur les cendres de contentieux encore plus anciens, notamment des affrontements en 1918-20 au moment de la guerre civile.

 

Mais les gens de nationalité ossète sont aussi russophones que … les Géorgiens. Or les Russes n’intervenaient pas en août 2008 pour défendre les Géorgiens, sauf erreur, si ce n’est peut-être contre leur propre président.

DdK

 

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